Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Volutes mortifères

par Nico Dipolo

Cher Cloud,

Je dois te dire quelque chose, te faire une confession : je fréquente un autre nuage. Pas de panique néanmoins, ni d'alerte au "Veau d'Or" ! Quand bien même vous êtes apparu en même temps dans ma vie, vous n'avez rien à vous envier, vous n'êtes pas de la même brume ! Lui, jaillit de ma poche tous les jours, du bout de quelques bouffées sur une tige de papier. Cher Cloud, je compte parmi l'immense communauté des fumeurs. Oui. Le mot fait tâche, le mot fait sombre, le mot fait peur!...pourtant, dans le cœur des autres tabac-philes, qui peut-être par toi me liront, vient de s'allumer quelque chose comme une étincelle de complicité. Ces volutes qui s'élèvent de nos lèvres chaque jour, en ponctuent tant les fades moments du quotidien que les intenses et exceptionnels instants : cet éclair de jouissance illumine nos vies, comme il nous pousse vers la mort.
Cher Cloud, Cioran a dit un jour, dans son irrésistible goût pour la sentence désespéré, "rater sa vie, c'est accéder à la poésie sans le support du talent". Sur le maître, humble, je suis tenté de renchérir : embraser son mégot, c'est accéder à (une forme) de poésie sans le support du talent. C'est donner au monde désenchanté et froid, un instant de magie et de chaleur rougeoyante. C'est s'autoriser un instant où les règles semblent disparaître dans le hasard d'une danse éphémère, un moment où le gris devient moins gris, et où parfois, la solitude se disperse et se cache plus profond dans nos cœurs.
Bien sûr, cher Nuage, tu le sais mieux que personne, c'est un vice qui éteint chaque fois un peu plus l'hiver de l'existence, pour nous rapprocher encore plus du grand froid de la Mort, nous faire passer plus vite et plus dur de l'été à l'automne. Il semble ici un étrange paradoxe, que de nous précipiter à grand souffle vers une mort d'autant plus atroce qu'elle tombe d'avoir trop vécu. Et s'il faut bien que la rationalité s'arrête, loin de moi l'idée de défendre l'absurde. Candide ou sage, je l'admets : ces instants de poésie sont à ce prix.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article